jeudi 14 juin 2012

La passerelle au-dessus du gouffre... financier

Récemment, à la mi-mai, j'ai blagué ici sur le fait que le journal L'Express avait publié un article vantant la construction d'un édifice de deux (!) étages au centre-ville. J'avais alors ironisé que Drummondville n'avait rien à envier à New York et son One World Trade Center… (Voir http://lecentricois.blogspot.ca/2012/05/que-le-ciel-vienne-se-gratter-lui-meme.html)
Mais, prenez-en note : je n'étais pas sérieux… Je faisais une blague, là… Juste un peu d'humour sur le fait qu'il y a toujours moyen s'enorgueillir de sa propre grandeur même si elle est au fond bien modeste… Un clin d'œil au fait que voir grand est une notion bien relative qui dépend du contexte dans lequel cela se fait…
Mais, je vous le dis, je vous le jure, c'était une blague… à ne pas interpréter au premier degré. Lisez-moi bien, là : jamais au grand jamais je n'aurais souhaité qu'un promoteur annonce la construction d'une réplique du gratte-ciel le plus en vue de New York au centre-ville de la métropole centricoise. Juré craché!

Sérieuse mégalomanie

Or, il apparaît que la mégalomanie soit pour d'autres plus qu'un effet de style à connotation humoristique, mais bien un véritable penchant, voire une sérieuse pathologie. C'est qu'en survolant l'édition du mercredi 14 juin 2012 du journal L'Express, j'ai été complètement incrédule d'y lire cet article au titre ronflant : Un projet inédit et colossal: une passerelle au-dessus de la rivière Saint-François (http://www.journalexpress.ca/Actualites/2012-06-12/article-3006540/Un-projet-inedit-et-colossal%3A-une-passerelle-au-dessus-de-la-riviere-Saint-Francois/1).
Ainsi, voilà que des bâtisseurs locaux aux idées de grandeur sans limite quand elles sont financées par les deniers publics – des visionnaires, se décrivent-ils eux-mêmes – voient la nécessité ou à tout le moins la pertinence d'investir dans l'érection d'une passerelle qui deviendrait ni plus ni moins le symbole de Drummondville « comme peut l'être le Stade olympique pour Montréal ou la tour Effel (sic) pour Paris ».
Ce petit bijou, qui relierait les deux rives de la rivière Saint-François (entre le secteur Saint-Joachim-de-Courval d'un côté et la Pointe-aux-Indiens dans la municipalité de Saint-Majorique de l'autre) pour permettre aux amateurs de plein air de profiter plus aisément du cadre magnifique de l'endroit, coûterait la bagatelle de… 19 millions de dollars.
Hein? Combien… de millions? Dix-neuf? Ben voyons donc, il doit y avoir une erreur de frappe dans le journal…

Eh bien non! Dans le texte de l'article, on précise que le montant nécessaire à la réalisation de ce projet (tout à fait sérieux, là) est de 18,9 millions de dollars. (Bof, un p'tit 100 000 $ de plus ou de moins!)
Et ils vont venir d'où les 19 millions convoités? Devinez donc!
Des fonds publics, bien sûr! C'est ainsi « qu’on cherchera à financer [le projet] par des contributions égales des gouvernements fédéral, provincial et de la Ville de Drummondville ».
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais quand j'entends parler d'un projet qui serait financé à 100 % par des fonds publics – hormis s'il s'agit de projets publics essentiels liés à la santé, à l'éducation ou aux transports, par exemple – j'ai tendance à m'imaginer que ledit projet est peut-être caractérisé par un niveau d'intérêt et d'utilité artificiellement gonflé à l'hélium. Ah oui! Je concède que certains projets culturels innovateurs et marginaux, également, peuvent nécessiter à l'occasion un financement public total faute d'être grand public. Mais une passerelle que des fonds privés ne verraient d'aucun intérêt à financer? Hum… Pas sûr!
Et si, en plus, les promoteurs du projet en question annoncent d'entrée de jeu qu'ils ne comptent que sur du financement public sans même évoquer la possibilité qu'ils feraient un effort - un tout petit, juste pour voir - pour tâter le pouls du côté de la recherche de partenaires privés, là je me dis que les contribuables ont sans doute affaire à un cirque pour lequel ils sont invités à payer seuls et très cher pour aller voir un beau spectacle d'éléphants blancs.
Par contre, ne vous méprenez pas : je n'en ai pas contre le développement d'infrastructures de plein air, mais 19 millions pour une passerelle! Dix-neuf millions de vos taxes et impôts… pour financer une infrastructure, aussi merveilleuse soit-elle, qui serait localisée en pleine forêt? Heeeello! Y a quelqu'un de lucide à l'appareil?
Bon sang, avec 19 millions, on pourrait entreprendre de relier toutes les municipalités de la MRC par une voie cyclable balisée. On pourrait également, comme certaines voix le suggèrent, entamer la construction d'un nouveau pont enjambant la rivière Saint-François (et incluant une voie piétonnière et cyclable) à la hauteur de Saint-Nicéphore, une infrastructure qui engendrerait des retombées positives tant pour l'économie que pour l'environnement.

Pourtant, il y a deux ans...

Autre légère contradiction qui pousse à l'ironie, le directeur général de l'organisme qui veut aujourd'hui nous vendre l'idée de la passerelle qui se rentabiliserait d'elle-même par l'attrait suscité occupait les mêmes fonctions récemment dans l'organisation des Légendes Fantastiques. Lors de l'annonce de la tombée définitive du rideau sur cet impressionnant spectacle de très grande qualité en juillet 2010, après seulement quelques représentations d'une saison dont la vente de billets s'annonçait difficile mais tout de même pas nulle, le DG affirmait à l'époque qu'il aurait fallu tripler la vente de billets pour en assurer la rentabilité (http://www.journalexpress.ca/Culture/2010-07-20/article-1596721/AO-La-Legende-%3A-il-aurait-fallu-trois-fois-plus-de-visiteurs-pour-atteindre-la-rentabilite/1). À l'époque, faute d'achalandage, on a simplement fermé les livres sans lendemain.
Pourtant, aujourd'hui, le même gestionnaire vante la faisabilité du projet de passerelle dans un débordement d'enthousiasme (« On pourrait y traverser la rivière en tyrolienne, utiliser une partie du pilier de départ haut de 54 mètres comme mur d’escalade, prendre de magnifiques photos, faire du vélo, courir, marcher entre Saint-Joachim et Saint-Majorique et ce, douze mois par année » http://www.journalexpress.ca/Actualites/2012-06-12/article-3006540/Un-projet-inedit-et-colossal%3A-une-passerelle-au-dessus-de-la-riviere-Saint-Francois/1) pendant qu'une belle étude de faisabilité – du type dites-moi ce que vous voulez entendre – affirme que le projet sera rentabilisé « grâce à un achalandage élevé qui pourrait atteindre plus de 200 000 personnes annuellement. »
La question plate :
S'il fallait tirer la plogue sur le spectacle AO La fantastique légende après seulement quelques représentations données à l'été 2010, qu'est-ce qui a tant changé deux ans plus tard à Drummondville qui ferait en sorte que les touristes de partout aient un appétit certain pour venir dépenser leurs dollars-loisirs afin de venir fouler notre belle passerelle unique? Et si jamais les prévisions optimistes des promoteurs jovialistes ne se matérialisent pas et qu'on assiste à l'échec financier du projet, on fera quoi avec notre jolie et spectaculaire passerelle construite à grands frais dans le bois?

Pourquoi s'arrêter là?

Tant qu'à y être, je me lance moi aussi dans la promotion d'un mégaprojet inédit. Voilà, je demande formellement à la Ville de Drummondville, à Québec et à Ottawa de financer entièrement mon projet de créer un arc-en-ciel permanent qui s'élèverait à partir de la passerelle magique et dont l'autre extrémité aboutirait – disons – au beau milieu du dépotoir de Saint-Nicéphore (pour égayer la vie des résidents des alentours qui en ont certainement bien besoin). Ça va marcher, croyez-moi! Pourquoi? Parce que je vous le dis!
*Soupir*

Développer en gardant les deux pieds sur terre

Heureusement, dans tout ce débordement mégalomaniaque, des voix s'élèvent pour faire valoir que ce projet n'a pas d'allure. Parmi elles, celle du maire Réjean Rodier de Saint-Majorique, pour qui le projet a beau être intéressant, il n'en demeure pas moins que les 19 millions de dollars requis pourraient trouver meilleure utilité ailleurs (http://www.journalexpress.ca/Actualites/2012-06-13/article-3007297/Projet-de-passerelle%3A-le-maire-Rodier-a-de-gros-doutes/1).
Pour mon humble part, j'espère effectivement que les élus de ma ville feront comme leur homologue de Saint-Majorique et tempéreront un brin les ardeurs des amateurs de passerelle à lunettes roses. Pour dire les choses clairement, quelques camisoles de force ou un point de presse bien senti de la mairesse pour ramener les planeurs dans le monde réel… et hop! Ce sont quelques millions de dollars supplémentaires qui trouveraient une meilleure fin dans le budget municipal.
Dans le cas contraire, l'auteur de ces lignes propose à nouveau de reformuler le slogan de Drummondville, lui qui a déjà donné dans cet art (http://lecentricois.blogspot.ca/2012/03/un-site-qui-pourrait-passer-de-la.html). Ainsi, « Capitale de l'expression et des traditions » pourrait, dans l'éventualité où ce projet verrait le jour tel quel et dans le cadre de financement proposé, être converti en :
Capitale des téteux de subventions qui en fument du bon!
Mais bon, trêve de sarcasme, car je suis convaincu que, dans ce dossier, la raison l'emportera en même temps que le souci d'une bonne gestion des fonds publics…et que ce n'est pas cette fois-ci que Drummondville ravira une parcelle de la notoriété qu'a Montréal pour son stade et Paris pour sa tour.

* * * * * * * * * *

Comme je suis bon joueur, malgré ce que vous venez de lire, je vous invite tout de même à aller voir l'impressionnante vidéo de présentation du projet et même à y officialiser votre appui si vous le souhaitez:
Mon nom ne figurera pas sur cette liste, c'est certain. Par contre, qui suis-je pour juger de l'opinion que vous vous ferez de cette idée au fond sympathique quoique fort onéreuse?

1 commentaire:

  1. Ce matin, nous sommes allés en famille au parc Woodyatt. Ma fille s'est bien sûr dirigée joyeusement vers les balançoires.

    Pendant que je la poussais, je me suis mis à lui dire intérieurement: «Mais voyons, Princesse, pourquoi t'amuser autant avec si peu? Franchement, une vieille balançoire qui grince dans un beau parc urbain dont l'accès est gratuit. C'est pathétique! Faudrait peut-être que tu apprennes à voir plus grand, à réclamer quelques millions de fonds publics pour pouvoir refaire tout ça et te vanter que tu te balances dans le plus beau parc d'Amérique...»

    Comme si elle m'avait entendu divagué, ma fille m'a simplement répondu en riant aux éclats:
    «Encore, Papa... Plus haut!»

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